jeudi 29 janvier 2009

shino



Je continue mes essais de shino , ici sur des bols en porcelaine.

Et je tombe sur des articles en ligne ainsi que sur un numéro de la revue "la céramique et du verre" sur le sujet. Les deux sources faisant mention d'une conférence sur le thème " Shino et Wabicha" en octobre lors des rencontres internationales céramique-Giroussens .
Lors de cette conférence plusieurs intervenant japonais, américains , français, australiens et américains, passionnés par le sujet.
Je me permet de reproduire ici les propos de Jeff Shapiro lors de sa prise de parole , extrait téléchargé sur le net. Et plus précisément une histoire qu'il a rapportée , telle un conte . Ceci m'a énormément touchée par la délicatesse et la force qui se tiennent derrière l'histoire et qui font qu'on ne peut séparer les choses aisément : l'âme , le sens et l'engagement du créateur sont liés . De même la nature , l'Orient et l'Occident.

Histoire d’Arakawa
Alors que je visitais la vallée de Mino avec un ami, son maitre Toyoba san nous dit de nous lever tôt le lendemain et de marcher jusqu’à l’atelier de son professeur qui n’était autre que l’atelier et la maison de Arakawa Toyozo, le fameux Trésor National Vivant ! Nous pourrons visiter le four du vénérable vieillard, sentir sa présence dans le vieil atelier, escalader le four a bois et la roue a eau. Mais nous devions être impérativement de retour au travail à 8:30 pétant ! Nous ne devions en aucun cas déranger le vieil homme qui « avait besoin de
repos et de solitude ». Quelle opportunité pour nous. Arakawa san était alors assez vieux, et replié sur lui-même. Il ne travaillait plus à l’atelier. Tôt le lendemain matin, nous nous mimes en route ; je me sentais tout excité de voir cet endroit que j’avais vu a la télévision lors d’une série sur les trésors nationaux vivants japonais. C’était un matin d’été magnifique. Nous descendîmes le long d’une voie privée et j’aperçus le toit de chaume d’une ferme, au milieu de la forêt, comme surgit de terre, mais totalement intégrée à son environnement naturel.
Nous vîmes le vieux four tunnel anagama et la roue hydraulique, puis l’atelier de Arakawa san ou il faisait ses fameux bols a thé. Contents d’avoir bien respiré l’air de la foret et l’esprit abreuvé d’images et d’inspiration, nous reprîmes le chemin poussiéreux. Comme nous passions devant la ferme, la fille d’Arakawa san, portant kimono, était sur le seuil de la véranda et nous apostropha : « Ne vous sauvez pas. Si vous attendez quelques minutes, mon père prendra le thé avec vous ! ». Mike et moi nous regardâmes, tous deux nous rappelant les mots de Toyoba sans : « Surtout, ne dérangez pas le vieil homme ! ». A cet instant nous étions partagés entre ange et démon : « Ah, vas-y, qu’as-tu à perdre » « Non, n’écoute pas ; tu dois rentrer travailler ». Nous répondîmes « merci, mais nous devons vraiment partir ». Les mots sortaient difficilement de notre bouche alors que nous brûlions d’accepter. « Vous ne le dérangerez pas. Pourquoi ne pas rester pour le thé ? » dit-elle. La coutume au Japon veut qu’il ne sied pas d’accepter une offre tout de go ; cela serait mal poli. On peut accepter au bout de
la troisième ou quatrième invitation. Les mains derrière le dos, je me rendais compte que j’en comptais inconsciemment le nombre! Nous refusâmes la seconde et la troisième ; a ce stade, et sans se concerter, tous les deux souhaitions qu’il y en ait une quatrième. Ce fut le cas !
Avant que la fille d’Arakawa san n’ait terminé sa phrase « pourquoi ne pas venir… » nous nous inclinions et acceptions aussi humblement que puissent le faire 2 jeunes excités qui se précipitaient déjà là ou dans quelques minutes ils rencontreraient le maître.
Nous nous sentions comme évoluant dans un conte traditionnel japonais. On nous dit de quitter nos chaussures et de nous installer sur le tatami en paille de riz. La pièce était grande et vide à l’exception d’une table laquée basse. Les panneaux de bois coulissants avaient été enlevés, et de la ou nous étions assis, nous pouvions voir les profondeurs de la forêt et c’était comme si nous regardions une scène de théâtre s’inscrivant dans ce cadre rectangulaire parfait et attendant les performances d’acteurs. Soudain a gauche de la scène, un
personnage apparu. Une chevelure longue et blanche, des pommettes hautes et saillantes, l’allure d’un Indien d’Amérique. Il portait un costume de paysans teint artisanalement couleur indigo ; il marchait prudemment, incliné sur sa canne. A chaque pas, son chien faisait de même. « Je me demande si ils se sont entraînés » me dis-je à moi-même. Nous restâmes silencieux pendant que Arakawa san s’inscrivait dans le cadre de la forêt et méthodiquement se dirigeait vers le milieu de la véranda ou se trouvait une pierre levée à la surface polie qui mesurait bien 63 cm de haut. Il vint devant la pierre et s’aidant de sa canne, s’assit, loin de
nous, regardant au loin, son chien assis et regardant au loin, et nous, assis, regardant au loin, et c’était la seule chose juste a faire, méditation. Ce fut le moment de sérénité que j’avais si désespérément besoin de connaître.
Après ce qui nous parut une heure mais qui probablement ne dura que quelques
minutes, Arakawa san soupira. Pas un soupir d’angoisse ou de découragement, plutôt un soupir de satisfaction, peut-être d’être en vie. Enfin, il soupira encore et sans se retourner dit :
« JYAH ! » ou « BIEN ! ». Ca nous surpris « et bien… quoi ? » « KYOO DOIU HANASHI NI SHIMASHOOKA ? » « Bien, de quoi allons-nous parler aujourd’hui ? » dit-il. « Oh, de ce qu’il vous plaira ». Puis Arakawa rentra dans la pièce. Nous nous souvenions toujours des paroles de Toyoba san, mais elles nous parvenaient de plus en plus affaiblies. Nous étions assis en compagnie du Trésor National Vivant, en train de discuter et de boire le thé dans sa
propre maison ! Nous continuâmes à discuter sur l’emplacement des coupes de bois à faire pour les cuissons et sur les gisements d’argile. Le temps passait agréablement et soudain nous réalisâmes que nous étions très en retard car il était plus de 9 :30 et que le prix a payer pour ce retard serait lourd. Nous décidâmes donc de partir à notre grand regret.
Nous nous excusâmes et étions sur le point de dire au revoir à Arakawa san quand soudain 2 hommes en costumes débouchèrent du coin de la maison. Par hasard, je connaissais l’un deux qui était éditeur. Avec courtoisie nous tentâmes de partir aussi rapidement que possible quand l’un d’entre eux dit : « Wow ! quelle chance vous avez les gars ». Je demandais pourquoi il disait cela. « Et bien, nous terminons l’édition du livre consacré à la vie et l’œuvre de Arakawa san. Il ne tourne plus de pièces, mais pour le livre, nous lui avons demandé de revenir à l’atelier et de faire des bols à thé. Puisque vous êtes là, vous pouvez y
assister ! ». Une fois de plus, conflit entre anges et démons. Que pouvions-nous faire ? On ne pouvait pas manquer cette opportunité. Nous décidâmes d’un commun accord de retourner à l’atelier.
Ce fut comme je l’avais imaginé. Le plancher, sale, et le tour à main du potier : une grande roue en bois avec 4 trous, haut, bas, droite, gauche. Une baguette se fiche dans l’un des trous et entraîne la roue jusqu’à sa rotation inertielle.
Arakawa san était alors assez vieux et peut-être un peu sénile, mais c’était un maître.
D’abord, il utilisait une argile superbe, légèrement rose, un peu crémeuse au toucher et très légère. Quand elle est tournassée sur le tour avec une estèque de métal, sa surface ressemble à de la glace à la framboise striée par la cuillère, ou aux ondulations sur le sable rose après le retrait des vaques. Depuis mon arrivée au Japon je n’ai cessé de regarder les bols à thé d’Arakawa san. Ils sont somptueux.
L’apprenti de Arakawa san pris un morceau d’argile en forme de cône et le mis sur le tour. Arakawa san se mis devant le tour. A la manière dont il mettait le bâton dans le trou et qu’il faisait tourner la roue, on voyait bien que cette roue avait servi depuis de nombreuses années. Elle tournait de manière déséquilibrée avec des ondulations ; quand la roue ralentissait, les ondulations suivaient le mouvement. Arakawa san avait fait ces gestes depuis si longtemps qu’il était en parfaite synchronisation avec l’ondulation, sa tête oscillant avec le
mouvement de la roue et de l’argile. De regarder, je sentais ma tête se mettre à l’unisson. Je me sentais extraordinairement excité d’être à 2 pas de ce Trésor National Vivant en train de faire l’un de ces magnifiques bols a thé. J’étais déterminé a apprendre quelles étaient les étapes pour réaliser un vrai bol a thé. J’imaginais qu’il y en avait au moins 10. Alors, il tapota le cône d’argile sur le tour, mouilla ses mains, centra la terre, et quand ses doigts se placèrent
au milieu de la boule pour creuser, j’étais fin prêt pour compter les étapes : étape une, étape deux etc… Il enfonça son pouce, fit un simple geste des mains… et arrêta le tour. Le bol était là ! « Pas possible » me dis-je à moi-même « j’ai du mal voir ou être distrait ». Je me concentrais pour déterminer les différentes étapes de la fabrication du bol suivant, mais à ma stupéfaction, ce fut la même chose ; il allait direct de l’étape 1 à l’étape 10 !
La révélation c’est que faire un vrai et grand bol a thé n’est pas un exercice technique, mais un exercice d’harmonie.
(....) Je le redis, l’œuvre artistique n’est que la manifestation de l’esprit.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je n'ai pas exploré encore tout ton blog... Mais à propos de la manifestation de Giroussens, tu peux rendre visite à son organisateur : Pascal Geoffroy sur le Causse du Larzac... Homme passionné (de shino) et passionnant...
De mon côté, je recherche aussi ces merveilleux émaux, mais je n'ai pas de blog. Une question : Cuis-tu en four à gaz ou électrique ?
Bonne continuation et au plaisir de te lire.
René
renepontier@yahoo.fr